Spot check : Pipeline

Imagine une vague si puissante qu’elle est considérée par la planète surf comme la plus dangereuse au monde. Maintenant, imagine les surfeurs qui n’attendent qu’une chose : se jeter du haut de la lèvre dans un tube d’eau déchaînée – un véritable train liquide capable de faire de toi un héros, de t’envoyer direct à l’hôpital, ou pire. Pipeline n’est pas juste une vague. C’est un véritable terrain d’épreuve sur la côte nord d’Oahu, qui dévore les planches et les égos depuis que les premiers surfeurs ont osé l’affronter. Et pourtant, chaque hiver, elle se réveille avec fracas, attirant les guerriers des océans du monde entier venus mesurer leur courage face à l’une des créations les plus sauvages de la nature. Ont-ils un instinct de mort ? Au contraire… c’est un désir de vivre.

Dans les années 60, des pionniers comme Phil Edwards et Butch Van Artsdalen ont défié les gauches et droites de Pipeline, transformant ce spot considéré comme insurfable en scène ultime du surf. On attribue souvent à Edwards la première session documentée en 1961, mais c’est dans les années 70, avec des surfeurs comme Gerry Lopez et Rory Russell, que la magie opère. Leur style fluide et élégant donne l’impression que dompter Pipeline est un jeu d’enfant.

À mesure que les planches évoluent – passant des single fins aux thrusters – la manière de prendre les tubes évolue aussi. Michael and Derek HoShaun TomsonButtons Kaluhiokalani, Johnny Boy Gomes, et d’autres figures emblématiques, commencent à pomper et enchaîner les tubes avec style, repoussant les limites et montrant la voie à la nouvelle génération.

Mais Pipeline n’attire pas que les surfeurs. Depuis les années 70, les marques et sponsors y apposent leur logo sur tout ce qui touche à ce spot mythique. Le tout premier Pipe Masters a lieu en 1971, une idée de Fred Hemmings, ancien champion du monde devenu visionnaire. Cette année-là, Jeff Hakman remporte le titre inaugural, domptant déjà des vagues redoutées pour leur récif peu profond et leur puissance destructrice. À l’époque, Pipeline, c’était moins une compétition stylée qu’un défi de survie. Gerry Lopez, sacré en 1972 et 1973, y impose une sérénité zen dans le chaos ambiant, ce qui lui vaudra le surnom de "Mr. Pipeline". L’événement, encore très roots, attirait une petite foule de passionnés au Ehukai Beach Park. Ce n’était pas encore le spectacle mondial qu’on connaît aujourd’hui, mais les fondations étaient posées.

Dans les années 70, le Pipe Masters prend de l’ampleur, porté par la réputation de la North Shore comme dernier bastion sauvage du surf. La vague devient alors la référence ultime en matière de tube. Gagner à Pipeline devient aussi prestigieux qu’un titre mondial. En 1983, tout change de dimension. Hemmings, avec Randy Rarick, lance la Triple Crown of Surfing, une série de trois compétitions : Haleiwa, Sunset et Pipeline. Le Pipe Masters devient la grande finale, le troisième joyau d’un marathon de sept semaines sur ce qu’on appelle le "Seven Mile Miracle". Ce n’est plus juste une vague, mais un véritable test d’endurance et de polyvalence, Pipeline étant l’épreuve reine.

Les années 90 voient naître une nouvelle ère, celle de la domination. Un certain  Kelly Slater remporte son premier Pipe Masters en 1992 à seulement 20 ans. Il entame alors un règne qui le verra décrocher 7 titres à Pipeline d’ici 2013. Il rafle aussi la Triple Crown en 1995 et les années suivantes. En parallèle, des locaux comme Derek Ho, qui porte fièrement les couleurs hawaïennes, s’imposent aussi. Il remporte le Pipe Masters et devient champion du monde en 1993. Le Pipe Masters devient alors la dernière étape du circuit ASP (ancien nom de la WSL), souvent décisive pour le titre mondial. Les prize money explosent, les sponsors débarquent – de Mountain Dew à Billabong – et la couverture TV transforme le tout en événement planétaire, solidifiant la place de Pipeline dans la culture surf.

Les années 2000 marquent l’avènement de l’ère Andy Irons. Le surfeur de Kauai remporte 4 fois Pipeline (2002 à 2006) et la Triple Crown 3 fois (2002, 2003, 2005), livrant des duels légendaires face à Slater. L’édition 2003, où Irons décroche le titre mondial face à Slater, reste gravée dans toutes les mémoires.

Le format du Pipe Masters a évolué depuis, notamment avec l’arrivée des femmes dans la compétition. La Triple Crown n’existe plus, mais Pipeline reste un incontournable du World Surf League Tour, désormais comme première étape. Certains estiment que cela a changé la dynamique du titre mondial, réduisant l’impact du tube ultime comme juge final. Pourtant, chaque hiver, le désormais "Lexus Pipe Pro" transforme à nouveau la North Shore en arène planétaire. Les plages sont bondées, et des milliers de fans suivent en direct les vagues de 3 mètres déroulant depuis le Second Reef. Les meilleurs surfeurs du moment – comme John John FlorenceBarron Mamiya, ou encore la locale Moana Jones offrent un spectacle grandiose, avec l’espoir d’inscrire leur nom aux côtés des légendes.

La plupart de nos articles “Spot Check” donnent des conseils sur le meilleur moment pour surfer et quelle planche choisir. Pipeline, c’est un autre monde. Disons-le franchement : réservé aux experts. Si tu ne sais pas, n’y va pas. Mais si par chance tu tombes un jour de petit swell, autour de 2 à 3 pieds, tu pourrais tenter l’expérience. Attention au récif très peu profond et aux courants. Consulte toujours la météo marine, parle aux lifeguards, et, comme toujours, respecte les autres.

Ceci dit, la meilleure période pour regarder ou photographier Pipeline dans toute sa splendeur va d’octobre à mars, parfois jusqu’en avril. La magie opère quand les houles viennent du nord-ouest. Entre 6 et 12 pieds, avec une orientation de 300 à 320 degrés, c’est généralement suffisant pour illuminer le reef sans que ce soit trop le chaos. Un léger vent d’est ou nord-est vient lisser la surface et sculpter les tubes cristallins qu’on aime tant.

Ceux qui ont passé des années à se familiariser avec cette vague sacrée ont gagné le droit de la surfer. Tous savent exactement les risques qu’ils prennent. C’est une danse délicate entre audace et instinct, un chemin qui commence souvent très jeune, depuis l’épaule de la vague, en observant. Puis un jour, ils se rapprochent, attrapent une vague sur l’épaule… puis encore plus creux, encore plus profond. Jusqu’à ce que LA vague, celle que même un "uncle" local n’a pas pu prendre, arrive jusqu’à eux… et qu’il leur crie : “VAS-Y !” C’est là que l’obsession commence, et qu’une nouvelle génération de surfeurs de Pipeline voit le jour.


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